Analyse de la représentation du 2 février 2025 au Théâtre de l’écho du Robec à Darnétal,
par A. T., professeure certifiée de lettres à Saint-Cloud, dix-septiémiste.
Le Médecin malgré lui est souvent considéré comme une petite pièce de Molière, plutôt facile d’accès pour les élèves, de préférence des collégiens. Une bonne entrée en matière dans l’étude du genre théâtral. Des scènes assez courtes et rythmées, des personnages stéréotypés faciles à saisir, des noms qu’ils peuvent retenir, un bel exemple des procédés comiques et une histoire sympathique. Un méchant mari est puni et une jeune fille réussit à épouser l’élu de son cœur, le tout dans la bonne humeur générale. Étudier Le Médecin malgré lui en classe, c’est pratique. Emmener ses élèves assister à une représentation de l’œuvre, c’est la promesse d’un bon moment pour eux.
Et la mise en scène de Guillaume Carrier répond parfaitement à ces attentes. Dès les premières minutes on est capté par un rythme enlevé auquel chaque comédien apporte du souffle : entrées fracassantes de Sganarelle et de sa femme, stupéfiante d’énergie d’un Géronte en fauteuil, époustouflante d’une Lucinde tout droit sortie de l’asile et qui joue comme jamais son mal d’amour. Et cette vitalité demeure jusqu’au tombé du rideau. Bien sûr, on rit des gesticulations de Sganarelle et de son penchant prononcé pour la bouteille. On rit des courses poursuites et des disputes entre le maître et la nourrice. Mais là où le travail du metteur en scène est particulièrement réussi c’est qu’il parvient à déployer intégralement la large palette du comique de Molière. Au-delà des situations et des caractères, on voit sur le plateau l’hommage qu’avait fait Molière à la Commedia dell’arte. Le jeu de Lucinde qui baragouine semble hérité de la pantomime. La nourrice trop souvent jouée avec excès retrouve ici toute sa finesse. Elle distille des conseils à son maître un peu perdu, soutient la jeune fille de la maison avec lucidité, repousse sans outrance les avances d’un Sganarelle trop collant et finit, excédée, par se battre avec son maître à coups de haricots. Tout semble léger, enlevé et parfois improvisé, à l’italienne. Or toute la maîtrise est là. La troupe de l’écho du Robec parvient à faire ressortir sur scène la complicité évidente de ses comédiens, à la mettre au service d’une interprétation minutieuse, millimétrée, et à pleinement faire entendre le texte.
Car Le Médecin malgré lui n’est finalement pas une si petite pièce. Molière y fait réfléchir, certes avec légèreté, au mariage arrangé qui, contrairement aux idées reçues, fait débat à l’époque. Il y met en lumière des femmes fortes, la nourrice qui dirige la maison, Lucinde qui s’oppose à son père et se choisit un époux, Martine qui punit son mari et est source de l’intrigue. Aller voir cette comédie avec des élèves, c’est aussi pouvoir remettre les choses un peu à leur place sur une époque trop souvent caricaturée. Car si les femmes dépendaient de l’autorité masculine au XVIIe siècle, qui tenait salon et décidait du bon goût ? Les femmes. Qui faisait évoluer le langage à l’excès ? Les femmes. Qui, quelques années plus tard, ouvrira un pensionnat pour jeunes filles de bonne famille désargentées, passera commande auprès de Racine et marquera la fin du règne du plus grand roi que Versailles ait connu ? Une femme. Ainsi, avant Olympe de Gouges, il y eut aussi Molière.
On ne peut que saluer la lecture du metteur en scène qui donne à voir cette puissance féminine, bien loin des rôles de gentille fille perdue, de nourrice braillarde et de femme revancharde, le tout en adéquation avec des rôles masculins forts parfaitement campés. A l’image de Molière, Guillaume Carrier donne à voir une harmonie sur scène, entre les maîtres et les valets, les hommes et les femmes, les jeunes et leurs aînés.
La promesse est pleinement tenue, les élèves auront ri mais sortiront aussi nourris d’un bel idéal, celui de l’harmonie sociale qu’ils auront un jour à leur tour à réaliser.